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Soupir au salon avec des amis...
1 octobre 2005

d'Alain Dukarski, France

L'oeil de la Nuit.


3 heures du matin, un samedi soir de février, dans le silence pesant d’un appartement endormi. Je suis là, attendant patiemment que quelques anxiolytiques décident de mettre fin à ce calvaire de mes nuits blanches. Blanches comme cette pellicule de neige qui se dépose en fine couche sur les toits environnants. Les flocons dansent au rythme du silence, sans un  bruit, comme de légères plumes givrées que saupoudrait un ciel lourd de nuages pesants. Pesants comme ces mille et un mots qui se fracassent contre les murs de mes insomnies. Alors j’essaie de dompter ces images fugaces et incohérentes pour les coucher sur le papier. Mais curieusement dès que je me décide à tenter d’exprimer ces impressions nocturnes qui freinent mon endormissement, elles disparaissent comme pour me narguer. Et je peine à écrire la moindre phrase intéressante. Alors j’allume une cigarette espérant trouver dans les volutes de ses fumés toxiques de quoi alimenter le feu de mon écriture. Mais à part encombrer un peu plus mes poumons asthmatiques, je sais bien que mon salut n’est pas de ce coté là. Difficile de traduire ce que l’on ressent lorsque justement on ne ressent plus rien, plus aucune émotion. Ni peine, ni joie, rien de rien. Je ne ressens plus rien. Comme si on avait déconnecté la partie émotionnelle de mon cerveau. C’est comme un vide. Mais un vide artificiel. Je sens bien que tout est là, quelque part à l’affût, prêt à jaillir. J’ai l’impression qu’on a gonflé dans ma tête un ballon empli d’un gaz inerte qui anesthésierait toutes mes émotions. Ce n’est nullement douloureux physiquement parlant, mais c’est juste comme une absence, une sorte de sérénité factice plutôt effrayante. Un gouffre où résonne l’écho du rien. Alors j’attends. J’attend je ne sais quoi. Que pourrait-il bien m’arriver à une heure aussi tardive ? Déjà qu’il ne m’arrive rien la journée, il n’y a aucune raison que mes nuits soient plus mouvementées.

Que ces instants sont difficiles. Des instants de solitude profonde, totale, irréversible où on s’aperçoit réellement du fait que l’on n’existe pas vraiment. Qui pourrait bien s’inquiéter de moi en cet instant précis ? Personne. Qui se doute de ce que je fais à l’heure actuelle ? Personne. Que je dorme ou pas qui pourrait bien s’en intéresser ? C’est étonnant de se sentir ainsi hors du temps, hors du monde. Ca peut même rapidement en devenir effrayant. Alors je noircis du papier. Mot après mot. Phrase après phrase. Sans n’avoir rien à dire. Juste peut être pour permettre à mes doigts d’avoir encore une certaine forme de vie… Faute de caresser un corps, de caresser un espoir, je caresse du papier. J’aimerais tant enfin m’endormir. Fermer mes yeux. Ne plus penser. Ne plus rêver. Juste dormir. Profondément. Simplement. Doucement. Tendrement enlacé dans des draps langoureux, dans la chaleur rassurante d’une couette douillette. M’endormir en tenue de suaire. M’endormir et ne pas rêver. Surtout ne pas rêver. Le rêve est une épreuve si difficile. Un poids si lourd à porter. Pourquoi doit-on rêver ? C’est si douloureux le rêve. Il nous ouvre des portes magiques vers des mondes inaccessibles… Et chaque réveil est plus pénible que le précédent, lorsqu’on se rend compte que ce matelas de chimères nocturnes n’est que le linceul de nos espoirs perdus. Je hais les rêves. Ils ne sont que l’expression vicieuse de nos frustrations quotidiennes. Ce ne sont que des leurres sordides qui plongent nos éveils dans un malaise continu. Je voudrais ne plus avoir à penser, à songer. Songe, mensonge…

4 heures du matin. Il me faudrait bien tenter une ultime tentative d’endormissement.

Mais je sens comme un tonnerre qui gronde, comme une pression qui veut s’extirper, une violence qui enfle en moi. D’où vient cette étrange musique entêtante, ce bruit qui empli mon cerveau ? Comme une rumeur sourde qui m’envahi inexorablement ? Des images informelles me traversent l’esprit en un caléidoscope sournois au travers du prisme diabolique de la solitude. Alors je tente un plongeon dans les méandres de mon rien à la recherche du sommeil. Une issue sans voix. Qu’ai-je à attendre ? Qu’ai-je à espérer ? La nuit complice de ma démence m’accompagne de sa blancheur que seules quelques particules chimiques finiront par remplacer par un ersatz de léthargie. Une léthargie lourde, profonde, toujours plus pénible à atteindre, qui demande quotidiennement une dose encore plus importante de gélules ridicules mais indispensables pour enfin trouver le moyen de fermer l’œil de mes nuits. Une léthargie que j’aimerais terminer sous une chape de marbre quelque part à l’abri de chemins croisés. Alors j’attends. J’attends ce moment douloureux et salvateur à la fois qui mettra en veille mon état dépressif. Le temps d’une nuit. Le temps de quelques heures. Avant que les premiers rayons du soleil viennent ranimer mes douleurs diurnes. Déjà ma tête se sent lourde, baignant dans ses acouphènes insupportables, exacerbées par le travail d’engourdissement des molécules d’anxiolytiques. Mon corps lui, se détend, lentement mais sûrement, comme si mes muscles abandonnaient la partie, comme si mes os n’avaient plus de résistance. Seuls mes doigts continuent leur déferlement de hiéroglyphes illisibles pour tout néophyte qui oserait se lancer dans un décryptage méthodique de mes divagations nuiteuses. Ils écrivent tout et n’importe quoi. Ca n’a guère d’importance.

Aujourd’hui fut un jour particulier. Un jour de fin de parcours. Une journée d’action qui clôt à jamais un espoir que jamais je n’aurais cru impossible. Un espoir est mort emportant avec lui toutes les illusions que j’avais fondées, toutes les promesses auxquelles j’avais crues, tout l’avenir que j’avais bâti. Un jour amer, plein de larmes. Mais qu’importe. Tout cela vous importe peu. Je ne suis rien pour vous, ni pour personne. Alors à quoi bon rependre mon flot lacrymal que nul ne viendra éponger. La vie est ainsi. On passe de l’amour à l’abandon sans qu’on ne sache réellement pourquoi. On se retrouve seul un beau matin, ses bagages à la main, prêt à partir pour un nouveau départ, mais sur le quai de la gare, il n’y a personne pour nous accueillir. Et tout est à refaire. Tout est à reconstruire. Mais pourquoi ? Pourquoi faire ? Il me semble inutile de vouloir se reconstruire… Il est préférable de renoncer, de survivre avec ses souvenirs. Survivre et renoncer. Se contenter de n’être rien. J’ai été bien trop prétentieux de croire, d’espérer. Je n’avais visiblement rien à offrir. Alors je mets un terme à ces prétentions et m’en retourne à ma modeste existante insignifiante, là où nul n’attend rien de moi, là où je pourrai croupir des années sans tenter d’être un autre, ou même seulement être moi-même. Si seulement je savais qui j’étais.

Si seulement j’avais le choix.

Le choix d’être celui que je voudrais être.

Le libre choix.

Mais avons-nous réellement le libre choix ?

Le libre choix d’être ou de ne pas être. Le libre choix de vivre ou mourir. Le libre choix d’exister ou de ramper. Le libre choix de subir ou de réagir. Le libre choix.

Mais qu’est-ce que le choix ? Le fait même que l’on ait à choisir ne limite t’il pas justement ce choix ? On nous offre un choix selon plusieurs critères. Des critères bien définis. Même si ce choix reste large il n’en est pas moins quantifiable et donc limité, borné. Le choix est donc libre dans un ensemble prédéfini. Il nous est donc imposé. Nous ne pouvons sortir et nous affranchir de ce choix. Nous n’avons pas le choix. Nous sommes obligés de prendre telle ou telle décision, telle ou telle direction en fonction de ce qui nous est proposé. Nos choix sont donc conditionnés par les offres qui nous sont faites. Aussi sont-ce réellement de véritables choix ?

Vous avez le choix de me lire ou pas, mais si vous me lisez, vous n’avez pas le choix de ce que je vous propose. Vous ne pouvez que subir mes mots. Je deviens donc le maître de votre choix. Le choix… Choisir, c’est renoncer. Renoncer à ce qu’on n’a justement pas choisi. Nous revendiquons tous d’avoir le choix, mais nous n’en sommes pas dignes. Nous avons bien trop peur du bonheur. Aussi comment cesser de pleurer quand rien ne luit dans ma pénombre ?

Pourtant cette nuit il me faut choisir. Cruel dilemme. Je suis seul face à deux directions, deux futurs antagonistes, deux scénarii différents. Comment pourrais-je me décider en faisant fi de ce qui est ? Un mouvement brownien en folie, un curieux mélange, opère aux confins de mon cerveau. Comme un cloaque après l’orage où tout détrempe dans sa misère. Les rêves s’engluent dans un présent maculé des tâches du passé. Les souvenirs à peine froids subissent un ultime soubresaut qui met à mal mes réflexions. Et ce nuage encore plus gras ne fait qu’épaissir le mystère d’une existence, somme toute banale, qui m’ampute de toutes mes convictions. Il faut savoir se contenter de n’être qu’une illusion, rien qu’un mirage abandonné sur une ligne d’horizon.

Et la neige qui ne cesse de recouvrir le sol, inlassablement, comme une danse lancinante et silencieuse. Un ballet incessant où chaque flocon est une ballerine esquissant un pas de grâce avant de s’endormir sur tombeau de ma nuit.

Vient enfin le moment de ma délivrance.
Un feu follet, un vers luisant, vient étiendre ma nuit.
Et ma nuit pose ses jalons.

“Goodbye cruel world
I'm leaving you today
Goodbye, goodbye, goodbye
Goodbye, all you people
There's nothing you can say
To make me change my mind, goodbye.”


Pink Floyd
“The Wall” Goodbye Cruel World
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Image extrait du film « The Wall » d’Alan Parker (1982)

© Alain Dukarski 22/04/2005

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